Non, non et non !

L'OM avait déjà débuté sa saison, face à Caen et Troyes, avec une partie de son virage Nord à huis clos. Les suites d'un OM-PSG sous tension, la saison dernière, lors duquel des objets volants, mais aussi des fumigènes, avaient atterri sur la pelouse. Rebelote un mois plus tard face à Bastia, avec des explosions de pétards dans la surface de réparation corse. Assez, donc, pour fermer cette partie du virage sur deux matches. Quelles seront les conséquences du feu d'artifice de dimanche dernier, bouteilles de bières comprises ? On ne le sait pas encore, mais elles seront lourdes, très lourdes, c'est certain. On devrait en avoir un avant-goût dès le prochain rendez-vous au Vél', pour la réception d'Angers. On sait les instances très pointilleuses sur la sécurité et les engins pyrotechniques, surtout à quelques mois de l'Euro. Les événements de cet OM-Lyon, ajoutés au climat délétère de la réception de Mathieu Valbuena et aux déclarations présidentielles plus que limites vont coûter cher à l'OM, et certainement à ses supporters.

Le fond de cette sale histoire les touche en premier lieu. La poignée d'irresponsables venus se soulager dimanche dans ce lieu sacré qu'ils considèrent comme une zone de non-droit va, une nouvelle fois, souiller le plaisir de 65 000 amoureux de l'OM, véritable légion pacifique capable, comme personne, de faire décoller le vaisseau amiral du boulevard Michelet. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Depuis trois jours, Marseille est (re)devenu une zone de non-droit et ses supporters constituent, c'est confirmé, une horde sauvage, dangereuse, nuisible, capable d'exécuter symboliquement l'un de ses ancien protégés, d'attenter beaucoup moins symboliquement à l'intégrité physique du gardien adverse, voire de mettre le feu au maillot de ses propres joueurs. On appelle ça l'amalgame. Effet inévitable et incontrôlable dès lors que la presse généraliste s'empare de l'événement. Dès lors que France 2 ou TF1 ouvrent leur JT sur les "exactions" du Vélodrome, avec festival de gros plans sur le "pendu du virage", sur les canettes volantes, le fumi sur Michy et, surtout, sur les visages déformés par la haine de cette poignée de débiles cités plus haut, la cause est entendue. Marseille est un coupe-gorge, l'OM est infréquentable et ses supporters avec.

L'occasion est belle, inespérée même, pour ceux qui souhaitent s'attaquer au système. Entendez le système des groupes de supporters, unique en France, certes parfois critiquable, mais garant d'un maintien des prix bas, d'un accès au stade pour les moins fortunés. Cette masse écrasante, au coeur d'une ville pauvre où les inégalités ne cessent de se creuser, ne peut être ignorée. Elle a droit, plus que quiconque, à son heure (et demi) de gloire, une semaine sur deux. Plus que ça : elle constitue le coeur de l'histoire de ce club sans équivalent. Elle en est la vibration vitale, le supplément d'âme qui en fait sa singularité et permet au notable, au notaire, au médecin, au député de venir "s'encanailler" à ses côtés. Ce partage de frisson ne dure, certes, qu'une heure et demi au delà de laquelle chacun rentre chez soi. Le chanceux traverse Michelet et réintègre son parquet ciré de la rue Paradis ou sa villa du Roucas-Blanc. L'autre s'engouffre dans les couloirs du métro pour la longue traversée jusqu'à la Busserine ou le Plan d'Aou. Leurs destins resteront inchangés, mais ils vibreront de nouveau ensemble quinze jours plus tard. Oui, bien sûr, cette passion est par définition indissociable de l'excès. Dans ce joyeux bordel, se fondent inévitablement les lanceurs de canettes et les exécuteurs de poupées. Les cons, en somme. Et comme disait l'autre, ils volent toujours en escadrille. Sont ils plus nombreux à Marseille ? Non. Ce sont les Marseillais qui sont nombreux. Ils viennent en nombre à la grande messe du dimanche, ils viennent vibrer à l'unisson dans cette arène et défendent leur amour d'enfance et de toute une vie. Maladroitement ? Oui, souvent. Mais il s'agit de la survie d'une tradition, de la survie de ce que l'on appelait autrefois les "populaires" ou les "pesages". Ces calanques ouvertes à tous, riches ou pauvres, où la mer est bleu pour tout le monde le temps d'un match.

Ce qui s'est passé dimanche sur Michelet ouvre un boulevard aux adeptes de l'aseptisation, d'un plan Leproux à la sauce marseillaise. Attention, ce "plan" a permis au Parc des Princes de redevenir un stade où l'on ne risque plus sa vie, où les néo-nazis n'ont plus tribune libre pour afficher leurs banderoles abjectes, et on ne peut que s'en féliciter. Mais risque-t-on sa vie au Vél' ? Le racisme et la haine y ont-il pignon sur rue ? Non, non et non ! Valbuena s'est fait chahuter ? Oui. Des canettes ont volé ? Qu'on interpelle les abrutis qui les ont lancées. Une poupée qui balance au bout d'une corde ? Que l'on tape sur les dirigeants qui ont eu la légèreté, et le mauvais goût, de la laisser pendre. Mais, que l'on se serve de ces dérapages mal contrôlés pour faire du Vél' une machine à cash à l'anglaise, débarrassée de sa furia collective et de son bordel organisé : mille fois non !